La vente, un métier profondément humain

Nous remercions Constance Calvet, auteure du livre « Non merci je regarde », d’avoir bien voulu répondre à nos questions sur ce métier tellement essentiel, qui est celui de la vente.

Quelles sont les tendances que vous observez dans l’industrie du luxe en matière de formation et de développement professionnel ?

S’agissant de la formation au retail, cœur de mon expertise depuis vingt-cinq ans, elle est de plus en plus au centre des préoccupations des capitaines de l’industrie du luxe. Les Groupes, Maisons et Marques rivalisent de créativité dans ce domaine, avec la fondation d’écoles internes, la mise en place de départements formation professionnalisés et l’appel à des cabinets experts comme le nôtre (The Wind Rose), pour accompagner la montée en compétence de leurs collaborateurs. Pour exemple, la LVMH House a créé un département Learning transversal, dont la vocation est d’inspirer et de soutenir tous les acteurs de la formation du groupe dans leurs chantiers formation retail.

La plus grande tendance dans le domaine de la formation cette dernière décennie est le « blended learning » ou formation plurielle, qui met l’accent sur toutes les possibilités offertes aux entreprises et aux apprenants : présentiel, distanciel, cours magistraux, elearning, coaching, apprentissage de pair à pair…

Les métiers du management d’une boutique et de la vente étant en pleine mutation, les Maisons, les Enseignes et les Marques ont à cœur de faire grandir et de renforcer la fierté d’appartenance de leurs équipes, en investissant dans des programmes de formation ambitieux, ultra opérationnels et orientés résultats, qui couvrent le 360 retail : l’art de piloter une boutique (soft skills et performance commerciale) le coaching in-situ, le savoir-être en magasin, les techniques de vente fondamentales, les « signatures de vente » (intégrant les marqueurs relationnels propres), l’art de l’après-vente, la gestion des clients difficiles, la « chasse », le clienteling, l’art des grandes ventes, …

Face à l’évolution rapide de la société et aux attentes des consommateurs, quels sont selon vous les défis majeurs auxquels les vendeurs de produits de luxe sont confrontés ?

L’exigence des clients (leur quête de transparence), leur versatilité, leur consommation « raisonnée » (seconde main, matières premières sourcées raisonnablement, bon usage du plastique, des emballages, pollution), leur vigilance accrue face aux contrefaçons et leurs attentes grandissantes en termes d’humanisation de la relation (notamment chez les Millenials et la Gen Z), sont les principaux défis auxquels les vendeurs sont confrontés.

Ce qui « démarque » donc les marques, pour répondre à ces enjeux, c’est le choix de leurs ambassadeurs.

Sont recherchés des profils plus que jamais hybrides :

– à même d’incarner l’ADN de la Maison ou de la Marque, c’est-à-dire la capacité à mettre en lumière ses « marqueurs identitaires », sa singularité, la valeur ajoutée de ses produits et à tenir un discours cohérent avec la promesse contenue dans son image,

  • plus obsédés par la relation que par le produit, maitrisant le centrage client, c’est- à-dire la propension à s’intéresser à son interlocuteur, à le faire parler, à l’écouter, à reformuler ses désirs, à proposer des créations dont l’inspiration et l’histoire est en résonnance avec son histoire personnelle, bref à le placer dans la meilleure disposition possible pour qu’il s’engage dans l’achat,
  • rompus à l’art de l’entregent, aux bonnes manières et aux bons usages,
  • forts d’une grande intelligence émotionnelle et d’une aisance relationnelle, leur permettant de s’adapter au niveau socio-professionnel, au style relationnel, à la culture et à la génération de leurs clients,
  • à l’aise avec l’omnicanalité, démontrant un engagement sociétal et environnemental et un rapport bienveillant à l’inclusion.Le luxe fait de la vente un métier à part, d’une grande noblesse et c’est ce que j’ai voulu exprimer à travers les trente récits jalonnant mon ouvrage ! La vente est souvent un tremplin pour une carrière d’exception dans cette industrie…

Vous mentionnez dans votre livre que « L’art de la conversation et l’attention à l’autre » sont des éléments importants dans la vente. Dans quelle mesure ces qualités contribuent-elles à créer une expérience unique pour le client ?

J’ai coutume de dire que la conversion d’un client dépend de la qualité de la conversation et que, ce qui distingue un bon vendeur d’un grand vendeur, c’est sa capacité à opérer ce changement de paradigme : de la posture transactionnelle, mercantile à la démarche relationnelle, émotionnelle.

Ce qui va créer une expérience mémorable, c’est l’attention exclusive envers l’autre, c’est l’oubli de soi-même et du produit que l’on cherche à vendre. Les salonnières du dix- huitième siècle français pratiquaient cet art de la conversation à merveille, mettant le projecteur sur leur interlocuteur, flattant leur égo et s’intéressant – à l’aide de questions très calibrées -, aux moindres détails de leur vie. Les qualités de curiosité et d’écoute active, la capacité à poser des questions centrées sur le client et à reformuler, l’assertivité, l’audace, la culture générale, une très bonne mémoire, la patience ou la gratification différée (le luxe c’est le temps long, qui doit aussi se refléter dans la création de liens sur le long terme), la proactivité, la passion pour la Maison que l’on représente sont autant de qualités et de compétences qui font toute la différence dans l’expérience client.

En décrivant votre livre comme un « voyage didactique et jubilatoire au cœur d’une industrie magique », pouvez-vous partager certains moments magiques que vous avez vécus dans le monde du luxe et qui ont forgé votre vision de la vente ?

J’invite les futurs lecteurs de mon livre à découvrir les anecdotes qui me sont arrivées personnellement ou qui m’ont été rapportées par de généreux contributeurs et qui illustrent ce « voyage » ! Mais je suis ravie de vous raconter un moment magique et c’est à une grande vendeuse japonaise d’une illustre Maison de la Place Vendôme que je le dois : non seulement elle maitrisait à la perfection l’omotenashi, cet art ancestral nippon qui consiste à anticiper le moindre désir d’un client et de le surpasser, mais elle possédait aussi une rare intelligence émotionnelle. Discernant rapidement mon fort attachement pour le pays du Soleil Levant, elle me questionna sur mes voyages et sur ma connaissance de cette culture et de cette langue, puis me fit essayer plusieurs bagues. Notant mon coup de foudre pour l’une d’elles, dont la taille était trop grande pour mon annulaire, elle revint quelques instants plus tard, un grand sourire aux lèvres : « J’ai une excellente nouvelle, j’ai trouvé VOTRE bague à Tokyo, vous avez la finesse des mains japonaises, elle est déjà en route vers VOUS ! » Ce bijou restera à jamais le symbole de ma passion pour ce pays et cette expérience en tant que cliente reste un très joli souvenir.

Votre livre évoque l’équilibre entre l’intime et le solennel dans les espaces de vente. Comment parvenir à maintenir ce délicat équilibre pour créer une expérience client exceptionnelle ?

Ce subtil dosage est en effet l’apanage des grands vendeurs : il s’agit de savoir garder son sang-froid et de gérer ses émotions, de faire preuve de curiosité, d’humanisation extrême et d’assertivité, de sincérité et d’attention, tout en suscitant l’émerveillement devant la beauté des créations, grâce à des mots et des gestes qui font rêver. Cet art consiste à « danser » entre audace et empathie, entre esprit marchand et poésie, entre mathématiques et littérature.

Et la formation des équipes off-line et on-line est essentielle pour réussir cela, comme par exemple l’entrainement à l’intelligence situationnelle : à quel moment, dois-je suivre le protocole, le solennel, à quel autre puis-je m’en détacher, pour offrir une expérience cent pour cent sur mesure et inoubliable, parfaitement fluide, intuitive et sans défaut …

 

2024-05-17T14:36:57+02:00
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