Vendre le luxe aujourd’hui : sortir de la tour d’ivoire sans renier l’excellence

Après un premier parcours au sein de la maison Cartier, vous rachetez en 2010 l’atelier parisien de haute joaillerie Coringer, puis deux années plus tard, Losange/ Frank et Person, spécialiste de l’usinage de pièces de joaillerie.

En 2015, votre fille Camille crée une nouvelle marque de joaillerie, Nouvel Héritage, fabriquée 100% en France. Quel a été votre positionnement lorsque vous avez créé Nouvel Héritage, alors que certains évoquent une banalisation, voire une fatigue du luxe ? Et plus largement comment, selon vous, vendre le luxe aujourd’hui?

Lorsque ma fille Camille a lancé Nouvel Héritage en 2015, son ambition n’était pas de reproduire les codes classiques de la joaillerie, mais de les revisiter à la manière du groupe, à la lumière de notre époque.

Nous avions l’intuition que la joaillerie ne pouvait plus seulement se raconter à travers la rareté ou l’apparat, surtout dans un monde saturé d’images et d’objets, qu’il y avait peut-être une forme de déconnexion entre le classicisme et les attentes d’une nouvelle génération, plus libre, plus mobile, plus sensible à l’authenticité qu’à la démonstration.

Le positionnement a donc été clair dès le départ et très en ligne avec les valeurs du groupe : fabriquer en France, avec exigence, mais en allégeant le ton, en injectant de la modernité dans les usages, de l’humour dans les symboles, de la liberté dans les formes. Elle a voulu une joaillerie vivante, spontanée, à porter au quotidien, sans renoncer à la noblesse du geste. D’où ce nom, Nouvel Héritage : l’idée de transmission, mais revisitée, actualisée.

Vendre le luxe aujourd’hui, selon moi, c’est :

  • Donner du sens avant de donner du prix. Le luxe doit parler de culture, de savoir-faire, de valeurs — pas uniquement de statut. J’ai l’habitude de dire que la joaillerie c’est l’art de raconter des histoires,
  • Créer du lien. Le produit ne suffit plus, c’est l’histoire, l’émotion, la relation avec la marque et avec le produit qui fait la différence.
  • Être exigeant sans être excluant. Cela passe par des engagements clairs sur la fabrication, la durabilité, mais aussi par une esthétique accessible, qui n’intimide pas.

En somme, vendre le luxe aujourd’hui, c’est sortir de la tour d’ivoire sans renier l’excellence. C’est proposer un luxe qui n’impose pas, mais qui propose — un luxe qui parle à l’individu, à sa manière de vivre, à son époque.

Partenaire majeur des joailliers de la Place Vendôme, le groupe MCGP compte aujourd’hui 780 collaborateurs, un atelier de très Haute Joaillerie à Paris, deux manufactures à Besançon et à Toulon-sur-Allier et une troisième en cours de construction. Pour cette troisième manufacture qui comptera à terme 300 personnes, pourquoi avez-vous choisi l’environnement du Creusot en Bourgogne-Franche-Comté ?

Le choix du Creusot s’inscrit dans une vision à long terme de notre modèle hybride, qui conjugue excellence artisanale et puissance industrielle. Nous croyons profondément que la joaillerie de demain se construit à la croisée de ces deux mondes : celui du geste maîtrisé, du détail sensible, et celui de la structuration, de l’innovation technologique et de la capacité de production.

Le Creusot, en Bourgogne-Franche-Comté, incarne exactement cela. C’est un territoire à la fois industriel par nature et humainement riche, avec une culture du travail bien ancrée, une tradition d’excellence mécanique, et un tissu éducatif solide. C’est un environnement qui permet de valoriser des savoir-faire techniques tout en créant des passerelles vers les métiers de la joaillerie.

Cette implantation répond aussi à un engagement social et territorial. Nous voulons ouvrir la joaillerie à des talents qui n’y avaient pas forcément accès, qu’ils viennent d’un parcours technique, d’un autre secteur, ou d’une autre région. Grâce à l’hybridation des outils — CAO, impression 3D, usinage de précision — nous sommes capables d’intégrer des profils variés, de les former, de leur offrir des parcours évolutifs, sans sacrifier l’exigence de qualité.

Enfin, le Creusot est une terre de reconquête industrielle, un territoire qui a une histoire à faire vivre et à réinventer. En installant cette manufacture, nous voulons participer à cette dynamique, ancrer de la valeur localement, créer des emplois durables, et prouver qu’on peut faire de la très belle joaillerie, exigeante, audacieuse, et profondément humaine, loin des centres historiques, mais en totale cohérence avec notre modèle.

2025-06-06T15:45:28+02:00
Aller en haut