Le rôle des Manufactures nationales, Sèvres & Mobilier national : la transmission d’un luxe intemporel ?

Marc Bayard, directeur de la recherche et de l’innovation aux Manufactures nationales, Sèvres & Mobilier national, interviendra au prochain Sommet du luxe et de la Création à la table ronde sur la valorisation de la création et des savoir-faire.  

Le rôle des Manufactures nationales est en effet à la fois unique et essentiel dans la transmission du luxe. En attendant de l’écouter le 19 juin prochain, il nous fait le plaisir de nous livrer dans l’interview suivante quelques-unes de ses réflexions sur ce sujet.  Il y a quelques semaines, en janvier dernier, était annoncée la création des Manufactures nationales réunissant le Mobilier national et la Cité de la Céramique – Sèvres et Limoges – ce qui en fait une institution unique au monde.

Si l’existence des Manufactures nationales est étroitement liée à l’histoire de France, dans quelle mesure ont-elles aussi un rôle essentiel dans l’avenir de la transmission du luxe ? Pourriez-vous également nous donner quelques exemples qui illustrent le soutien que vous apportez aux acteurs de la création? 

Marc Bayard – Pour comprendre le rôle des Manufactures nationales dans la transmission du luxe, il faut connaitre ses missions et son organisation qui remontent au 17è siècle, sous le règne d’Henri IV puis, surtout, de Louis XIV.  

Sans entrer dans l’histoire absolument passionnante du Garde-Meuble royal et des Manufactures royales qui constituent aujourd’hui les Manufactures nationales, Sèvres & Mobilier national, la question de la transmission du luxe nécessite de rappeler deux caractéristiques du luxe, à savoir le temps long et le narratif. En effet, les actions de notre institution s’inscrivent dans ce temps long en participant pleinement à la construction du narratif de l’excellence du luxe. 

C’est ainsi qu’au-delà du soutien que nous apportons à travers les commandes publiques, les Manufactures royales, puis nationales, accompagnent depuis quatre siècles les artistes contemporains et permettent la transmission de l’excellence artisanale en favorisant l’innovation, la formation et la connaissance.  

Aucun autre pays ne dispose d’une institution similaire qui conjugue patrimoine et création, pour la simple raison qu’il ne dispose pas de l’histoire spécifique de la France, et donc de ce narratif si précieux. 

Nous sommes donc un lien essentiel entre passé, présent et avenir du luxe français, avec cette particularité que nous participons à la création et non au commerce du luxe (à l’exception notable de Sèvres), tout en restant ancré dans l’usage puisque les créations et les achats des Manufactures nationales ont pour objet d’être déposés dans des lieux d’exception en France (Présidence, Premier ministre, ministères, ambassades…).  

C’est ainsi que nous sommes un acteur unique et complémentaire aux autres acteurs du luxe. 

Vous êtes le directeur de la recherche et de l’innovation de cette institution. Vous êtes également un fin connaisseur de l’histoire de l’art. Quel est votre regard sur les enjeux contemporains auxquels la France fait face pour « conserver sa longueur d’avance » ? 

Marc Bayard – Il est possible d’analyser la situation à partir de la catégorisation du luxe que nous avons établie avec le mouvement Slow Made que j’ai créé au Mobilier national en 2012 :

1. Première catégorie : le « sur soi », à savoir la mode, la joaillerie, la maroquinerie… ,
2. Deuxième catégorie : le « chez soi », à savoir la décoration au sens large,
3. Troisième catégorie : le « autour de soi », le design urbain et les mobilités. 

En France, nos savoir-faire du luxe sont particulièrement exceptionnels dans le « sur soi ». Et l’industrie y est forte. En revanche, nous sommes plus faibles sur les industries du « chez soi », contrairement à nos amis italiens (la Salon du meuble de Milan en est la preuve). 

Une de nos priorités est de contribuer à un renouveau de l’industrie du luxe de l’ameublement haut de gamme à forte valeur ajoutée, à savoir cette deuxième catégorie du « chez soi ».  

En France, nous savons faire émerger des créateurs, en nous inscrivant dans un système de l’Offre créative. L’enjeu aujourd’hui est de recréer du maillage manufacturier et industriel, avec les EPV notamment, pour redévelopper des bassins de production, par exemple dans la vallée des Vosges. Ce développement irait davantage dans un système de la Demande, là où les italiens sont particulièrement forts. 

Notre institution avec d’autres tels que les fondations privées et les structures associatives (Institut des savoir-faire français, Atelier d’Art de France, Ville et métiers d’art, Entreprise et découverte, Réseau Excellence des EPV, Comité Colbert, Centre du luxe…) a cette responsabilité de fédérer et de catalyser les atouts. 

Dans ce cadre, ma mission est d’être à l’écoute tout en mettant en œuvre les conditions de la recherche et de l’innovation pour savoir anticiper les besoins et donc la transmission, en particulier en faveur des acteurs singuliers (les créateurs designers et métiers d’art) et les petites unités de productions (PME).  

Le terrain d’action est aujourd’hui infini avec les nouveaux matériaux et les innovations technologiques qui ouvrent le champ à de nouvelles pratiques durables. 

Enfin, dans le contexte actuel plus global, l’industrie du luxe se voit chahutée sur les marchés, notamment asiatiques. Deux raisons semblent contribuer à comprendre ce trouble. Premièrement, le secteur du luxe est quasiment le seul secteur dans lequel la Chine a un retard avéré, non seulement en termes de puissance de savoir-faire, de patrimoine et d’innovation, mais aussi en termes de parts de marché mondial. Deuxièmement, le secteur du luxe, notamment dans la puissance du récit et de l’art de vivre, pourrait être comparé en termes d’influence à celui des GAFAM et des hautes technologies nord-américaines. Vous comprenez alors fort bien les raisons des attaques récentes. 

Marc Bayard
Directeur de la recherche et de l’innovation aux Manufactures nationales, Sèvres & Mobilier national

2025-04-25T16:04:46+02:00
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