LIBERTE, EGALITE, LUXE…
– Episode 2 : Le paradoxe de la rareté
« Masstige » : contraction de « masse » et de « prestige », ce mot résume à lui seul le conflit d’intérêts qui agite l’univers du luxe version 2023. La notion de « rareté » étant l’une de ses pierres angulaires, comment cohabite-t-elle avec ce renouvellement incessant proche du mass market à laquelle il s’adonne… sous peine de perdre en visibilité, celle-ci étant devenue aussi bien virale que vitale ? L’industrie du « luxe populi » semble parfois naviguer à vue afin de satisfaire des ensembles sociologiquement de plus en plus indépendants – les ultra riches, les riches et (presque) tous les autres. Faisant croire à ceux qui assistent sur leurs ordinateurs à des défilés-spectacles transformés en hyper shows qu’ils accèdent ainsi à un monde auquel ils ont financièrement de plus en plus de mal à appartenir. Dans un numéro de l’Express consacré au luxe, l’influenceuse Léna Situations le disait très simplement : tout le monde ne peut pas s’offrir une robe haute-couture mais tout le monde peut aller dans un musée. Cela a toujours été vrai, mais le brouillage des codes mode/art atteint aujourd’hui des sommets, dans cette atmosphère généralisée d’aspiration au beau dont parle le sociologue Gilles Lipovetsky (1). Un critique musical saluait l’autre jour ce prodige mozartien qui consiste à « mettre en valeur chacun des solistes » dans une symphonie. Telle est encore l’une des grandes questions du luxe : tous uniques, tous égaux, mais comment ? Le logo en série suffit-il à se singulariser, à se rendre remarquable, comme l’affirmaient récemment des interviewés sur France 2 ? L’important, rappelle l’économiste et sociologue Serge Letouche, « c’est que tout le monde ait accès à un statut » dans une démocratie qui doit faire avec ce paradoxe : combiner l’homo aequalis avec l’homo hierarchicus (2). « Aujourd’hui », écrivait Alain Rey, « en associant la rareté au luxe, nous posons une exigence et révélons un paradoxe, car le vrai luxe peut ou doit être pour tous : mais il faut qu’il demeure rare pour chacun » (3). Marie-Clémence Barbé-Conti, Journaliste – mcbc@presse-conseil.com |