La Corée du Sud, un laboratoire pour les expériences clients

Interview de Vincent Grégoire, Directeur Consumer Trends & Insights, NellyRodi

Downtown cityscape at night in Seoul, South Korea.

Quels sont les ingrédients de la réussite du marché du luxe en Corée du Sud ? 

Au-delà du marché du luxe, la réussite économique globale de ce pays ne vient pas du hasard mais du travail. Elle a été planifiée et construite avec l’adhésion d’une population élevée dans le culte du dépassement de soi et de l’intérêt général.  

Aujourd’hui la société coréenne est vraisemblablement dans une phase de transitions mais demeure un laboratoire de tendances et d’innovations pour les marques de luxe.  

Pour répondre à cette question, il faut avoir en tête l’histoire de la Corée qui est marquée par les invasions successives de la Chine, de la Russie et du Japon particulièrement dures pour la population. La séparation en deux du pays en pleine guerre froide menant la Corée du Sud à rejoindre le camp américain et à bénéficier de son soutien lui a donné une dynamique spécifique.  

L’histoire a donc façonné la Corée du Sud qui, avec une lucidité incroyable sur ses forces et ses faiblesses, a décidé de relever la tête. Ce qui est très frappant, c’est que les Coréens savent où ils veulent aller et ils s’en donnent les moyens. 

Etat visionnaire ayant la volonté de jouer dans la cour des grands, le gouvernement a soutenu le développement d’une économie structurée avec une ambition d’abord industrielle puis technologique et enfin culturelle. 

Longtemps donné en modèle de développement, la Corée du Sud a capitalisé sur ce miracle économique pour développer une industrie culturelle, devenue un soft power mondial. La diffusion de la K Pop et le succès des séries coréennes à travers le monde en témoignent. 

Aujourd’hui la culture coréenne est hybride, tout à la fois imprégnée par les traditions et influencée par la modernité des Etats-Unis. Les Coréens conjuguent rigueur et décontraction, réel et virtuel. Il y a une fierté coréenne avec de la spontanéité propice à la croissance. Friands de nouveauté, ils excellent dans l’innovation.  

Ce ne sont pas les meilleurs créatifs mais les meilleurs développeurs. Ils expérimentent en permanence. Ça marche, c’est bien. Ça ne marche pas, ils passent à autre chose. 

Si ce pays fait face au défi du vieillissement de sa population, la consommation du luxe est portée par une jeune génération en manque de reconnaissance. Elle y trouve une échappatoire face à une vie quotidienne stressante, étouffée par le culte de la compétition dès le plus jeune âge. La population est tiraillée entre d’un côté le dépassement de soi et la réussite à tout prix et de l’autre une pression sociale, des injonctions permanentes et de nombreux tabous sociétaux. Peut-être parce que la jeunesse coréenne est marquée par un taux de suicide le plus élevé au monde, elle est particulièrement en recherche de divertissements. 

La puissance de l’apparence est au cœur de la quête de performance que le pays a érigé en système. Alors que la violence existe comme dans d’autres pays, il émane de ce pays une contre-culture à la culture occidentale, empreinte d’harmonie et de bienveillance qui en nourrissent son développement. 

En conclusion, si je devais qualifier la société coréenne d’aujourd’hui, je choisirais les mots clefs de paradoxe, d’oxymore, d’hybride, de dissident et de dissonant.  

Quelles sont les expériences clients les plus marquantes développées en Corée du Sud que vous avez pu observer ? 

Je citerai le grand magasin, The Hyundai Seoul, qui, en construisant un lieu de vie ancré sur les divertissements et la culture, a créé une nouvelle façon de faire du commerce. Hyundai en coréen signifie modernité. Ce lieu porte donc bien son nom ! 

A l’image de ce pays, The Hyundai Seoul department store est un espace hybride, entre le physique et le digital, de près de 90 000 m2 (soit l’équivalent de plus de 120 terrains de foot) qui constitue un laboratoire d’expériences clients traditionnelles mais aussi avant-gardistes. 

Ce lieu accueille des marques patrimoniales de luxe ou des DNVB, des corners éphémères ou de consommation de masse ou de 2nde main, des corners à selfies, des miroirs déformants et autres divertissements propres aux parcs d’attraction, des espaces d’expositions artistiques ou d’interactions sociales… mais aussi une forêt de 3 300 m² … 

On y vient donc pour faire son shopping, se promener, se divertir mais aussi pour être vu !  

Si la cible prioritaire est clairement la génération MZ (Millennials et Z), toutes les générations s’y retrouvent car elles y trouvent toutes des offres spécifiques : des espaces culturels traditionnels, des cafés et des restaurants gastronomiques, des salons VIP ou des espaces virtuels immersifs rappelant que Séoul est devenue l’une des premières capitales à avoir rejoint le Metaverse. 

Ces lieux ne doivent rien au hasard : le gouvernement s’est donné pour objectif que la Corée soit l’un des cinq premiers marchés métavers au monde avec plus de 200 entreprises de plus de 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans ce secteur d’ici 2026. 

Revenons sur le Hyundai Seoul où une expérience avatarisée m’a particulièrement marquée : baptisée « the uncommon store » avec comme baseline « No card, no cash, QR only ». C’est un espace de science-fiction de 33m2, résultat d’une collaboration d’Amazone prime avec Hyundai, offrant plusieurs expériences à la pointe de la technologie, comme des capteurs complexes d’IA, une hyper-connexion et un cloud system.  

Au-delà de la démonstration technologique, ce lieu est un laboratoire de modernité. Il organise la cohabitation entre le kitch et l’élégant, le cher et le pas cher. Karl Lagerfeld avait eu cette intuition dès les années 1990 en faisant défiler Claudia Schiffer en tee-shirt Petit Bateau sous un tailleur Chanel.  

Des produits exclusifs en série limitée pour le Hyundai Seoul sont proposées par des marques de luxe  

Pour compléter ces multiples offres de shopping et de divertissements, le Hyundai Seoul a créé des club VIP.  

En 2022, le niveau de consommation requis pour être admis au rang le plus élevé de VIP atteignait l’équivalent de 120 000€. Les clients VIP qui, aujourd’hui ont des origines professionnelles très variées, Youtubeurs, professeurs d’écoles populaires, opérateurs de commerce en ligne venant compléter les traditionnels avocats, médecins ou célébrités, représenteraient plus de 30% des ventes. 

Le Hyundai Seoul a également défini une catégorie pour de jeunes membres VIP fondée sur leur nombre de followers, plus de 100 000 abonnés sur YouTube ou 30 000 abonnés sur Instagram. Les célébrités ou personnes remarquables dans des actions de bénévolat étant invitées à rejoindre ce club. 

Ces clubs offrent des services habituels avec des conférences accueillant penseurs et philosophes mais permettent également à leurs adhérents d’assister à des concerts, des évènements culturels privés. On y vient aussi pour rencontrer des personnes du même milieu que soi, pour se faire voir, pour élargir son réseau…. 

En résumé, The Hyundai Seoul a réussi à recréer les conditions qui avaient fait des Grands Boulevards un passage obligé pour nombre de Parisiens au 19e siècle, imaginés dès le 17è siècle par Louis XIV comme des lieux où il fait bon vivre, accueillant cafés, cabarets et théâtres et devenant lieu de divertissements. 

Pourquoi n’y a-t-il pas de lieu en France comme le Hyundai Seoul ?   

Peut-être parce que la France n’est pas aussi digitalisée que la Corée. Peut-être aussi parce que ce n’est pas ce qu’attendent les consommateurs européens ? Allez savoir peut-être que les grands magasins inventés en France au 19ème siècle qui font partie de notre patrimoine culturel, effectueront un jour une mue, toute proportion gardée, qui leur redonneront un pouvoir d’attraction tel que celui que l’on peut relever au Hyundai Seoul. 

C’est aujourd’hui à Dubai et au Moyen Orient que des lieux proches du concept du Hyundai Seoul sont en train d’apparaître. 

Vous êtes membre du Jury des Talents du luxe et de la création. Si vous aviez un Talent à suivre de près en Corée, quel serait-il ?   

Teo Yang, designer et décorateur d’intérieur, héritier de Christian Liaigre et de Bruno Moinard avec les codes de la culture coréenne. Talentueux créateur de mobilier d’intérieur, il multiplie les collaborations avec Chanel, de Gournay, Vacheron Constantin, Fendi mais aussi avec de belles marques coréennes … Un Talent à suivre de très près … 

 

2024-05-17T14:39:09+02:00
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