Interview d’Armine Ohanyan, directrice artistique d’Armine Ohanyan Paris,
Nouvelle Maison parisienne de Couture Contemporaine
Nominée aux Talents du Luxe et de la Création 2023 dans la catégorie Innovation
Pourquoi avoir choisi votre propre nom pour le nom de votre marque ?
Armine Ohanyan : Donner mon nom à ma marque est une revendication d’authenticité. Et vous savez, je n’ai pas un nom facile à prononcer en français, mais c’était comme une nécessité pour moi, car je voulais y présenter ma propre vision de la mode, qui associe technologie et artisanat.
Pouvez-vous m’expliquer le concept de la Techno-Couture que vous utilisez pour vos créations ?
Armine Ohanyan : Par Techno-Couture, j’entends une fusion de la technologie et de la couture faite main. Les deux se complètent et l’un n’efface pas l’autre. Je crée AVEC la technologie en utilisant les impressions 3D par exemple et la conception 3D. J’ai beau utiliser la technologie pour la modélisation, la découpe laser, ou les NFT (en créant des pièces réelles et des pièces virtuelles), les savoir-faire de la main me restent indispensables comme pour la broderie, le plissage…
Quels sont les avantages et les limites des évolutions technologiques dans votre métier ?
Armine Ohanyan : Il y a des avantages et des désavantages comme pour tout. Je pense qu’il faut utiliser prudemment les nouvelles technologies, comme pour toute autre chose d’ailleurs. Certains peuvent y voir un côté inquiétant avec le risque que ça supprime des emplois et qu’on cherche à y remplacer l’Homme. Pourtant, les technologies permettent de faire des choses incroyables et réaliser les rêves, comme pour les paysages 3D qui permettent de faire des shootings photos sans se déplacer à l’autre bout du monde.
Concernant la création de vêtements, la technologie permet la modélisation/le patronage 3D, qui évite les prototypes ratés, et réduit les déchets textiles. Cela nous permet de voir directement comment le vêtement va tomber sur le corps.
On entend aussi souvent dire que les nouvelles technologies sont synonymes de perte des savoir-faire de la main. Pour moi c’est faux, la technologie ne remplacera jamais la main. En réalité les 2 se complètent, car l’un va pouvoir façonner ce que l’autre n’arrive pas à faire.
C’est pour ça que j’ai à cœur de mettre en avant l’artisanat tout en l’associant aux technologies d’aujourd’hui et de demain.
Pensez-vous que l’IA pourrait un jour prendre la place du créateur ?
Armine Ohanyan : Personnellement je ne pense pas que l’IA puisse remplacer l’humain. Dans mon cas, lorsque je crée des vêtements je me documente beaucoup afin de trouver l’inspiration mais je n’ai jamais cherché à m’inspirer de l’IA. Toute créativité vient de l’humain. Je pense donc que l’IA peut aider à créer plus comme un soutien mais qu’elle n’arrivera jamais à dépasser l’Homme qui est son créateur. J’ai vraiment à cœur de mettre en lumière les savoir-faire et la créativité. Néanmoins, vu que la technologie est déjà présente dans nos vies, il est inutile de l’ignorer, et il faut plutôt apprendre à vivre avec et s’adapter.
Trouvez-vous que le rapport aux stylistes ait changé ces dernières décennies par rapport à l’époque comprise entre les années 1930 et les années 2000 (Coco Chanel, Elsa Schiaparelli, Paco Rabanne, Christian Dior, Pierre Cardin, Vivienne Westwood, Alexander McQueen, John Galliano, Karl Lagerfeld…) ?
Armine Ohanyan : Les directeurs artistiques aujourd’hui sont des influenceurs très talentueux d’Instagram et Tik Tok. La communauté du styliste Jacquemus a évidemment accéléré son ascension. Il sait très bien communiquer avec ses followers. Les créateurs d’aujourd’hui sont différents de ceux des années 50 ou 70, ils doivent paraître plus accessibles. Par exemple, le cas de Margiela qui a créé sa marque à la fin des années 1980, dont on ne connaît même pas le visage. S’il avait créé sa marque aujourd’hui, ça n’aurait pas marché car les clients ont besoin de connaître le créateur et d’adhérer à sa personnalité. Ils ont définitivement un rapport différent aux créateurs aujourd’hui.
Comment faites-vous en tant que marque indépendante pour attirer l’attention des médias et vous faire connaître du public, par rapport aux marques déjà bien connues ?
Armine Ohanyan : C’est difficile pour les marques indépendantes d’être aussi couvertes médiatiquement que les grandes marques. Pour attirer la presse on doit se démarquer par l’ADN de la marque (il faut une image de marque assez forte). Pour mon cas, c’est le fait de gagner des concours de mode assez rapidement qui a permis à ma marque de très vite être médiatisée. L’intérêt de certaines célébrités pour mes vêtements y contribue également beaucoup.
Pourtant l’image de marque ne suffit pas, il faut aussi un message, une volonté, des engagements derrière le travail fourni. Moi je fais des pièces organiques avec sincérité et je pense que ça se ressent aussi. Ça attire la presse mais aussi les gens, que ce soit des clients ou une communauté internet.
Les grandes marques ont déjà la notoriété et leur place de garantie dans ce monde, et ne font pas face aux mêmes problématiques que nous plus petites marques. De plus, elles ont des employés avec des pôles dédiés à la communication ou au marketing, contrairement à nous.
Mais c’est pour cela que les concours comme les Talents du Luxe et de la Création sont importants pour nous. Ils nous offrent visibilité, reconnaissance de notre travail et opportunités professionnelles. Il faut soutenir ce genre d’événements.
Interview réalisée par Ines Petrovic et Chloé Casseau.