
Interview de Suzy Le Helley, parfumeur créatrice, Symrise
Votre talent vient d’être célébré par la Fragrance Foundation France avec le prix 2025 du meilleur parfum de niche pour Acne Studios que vous avez créé pour Frédéric Malle. Et vous n’avez que 33 ans ! Quel a été votre parcours ?
Je suis entrée chez Symrise il y a maintenant plus de dix ans. Tout a commencé par un stage à la sortir de mes études à l’ISIPCA, suivi d’une formation en création à l’Ecole de Parfumerie de Symrise, que j’ai menée en parallèle d’un poste de parfumeur technique.
J’ai eu la chance d’être accompagnée et formée par la suite par deux figures majeures de la parfumerie : Maurice Roucel et Annick Menardo.
Chez Symrise, la transmission est au cœur de l’ADN de l’entreprise, mais aussi de ses parfumeurs expérimentés.
Elle s’incarne à travers un programme de formation de deux à trois ans dispensés dans l’école interne de Holzminden, en Allemagne, puis par l’engagement volontaire de parfumeurs expérimentés qui acceptent de mentorer la nouvelle génération.
Mais cette transmission n’a de sens que si une connexion naturelle se crée entre le mentor et le jeune parfumeur. Car au-delà du savoir-faire, c’est aussi à travers la qualité de la relation humaine que se transmettent l’intuition, l’exigence, et l’émotion du métier.
Que vous ont transmis vos deux mentors ?
Maurice Roucel m’a transmis plusieurs principes fondamentaux. Le premier, que l’on retrouve dans de nombreux métiers de création, consiste à avoir une idée forte : savoir ce que l’on veut dire, et où l’on souhaite aller. Le second, plus spécifique à la parfumerie, tient à l’importance d’une écriture olfactive lisible, à travers des formules courtes.
Aujourd’hui, la plupart des parfums commercialisés comptent en moyenne 60 ingrédients. Ceux de Maurice n’en comptent souvent que 10 à 20. C’est un art du dosage, une forme de minimalisme maîtrisé.
Mon deuxième mentor a été Annick Menardo. Ce lien ne relevait pas d’une affectation décidée par le management : Annick m’a choisie. Et cela fait toute la différence. Un mentorat imposé perd souvent de sa force, car transmettre, c’est d’abord rencontrer l’autre, humainement.
À l’école, on apprend à parler le langage de la parfumerie, à s’ouvrir à la nature, à reconstruire les grands classiques. Il existe un véritable parallèle avec la peinture : comme les artistes qui commencent par reproduire les toiles des maîtres, on apprend en recréant les chefs-d’œuvre de la parfumerie.
En parlant de création et de reproduction, le Sommet du Luxe et de la Création du 19 juin dernier a abordé le sujet de l’IA, de l’usage dans la création aux questions de propriété intellectuelle, quel regard portez-vous sur l’IA ?
La formule d’un parfum ne bénéficie d’aucune protection en propriété intellectuelle. Seuls le nom et le design du flacon sont légalement protégés.
Chez Symrise, nous disposons d’un algorithme de création développé en partenariat avec IBM. Pour ma part, je ne l’utilise que lorsqu’on me le demande. Aujourd’hui que je maîtrise l’outil, j’en comprends pleinement l’intérêt. Cela dit, la création reste entre nos mains. Ce sont toujours les parfumeurs qui imaginent, décident et composent.
Quant à l’impact que l’intelligence artificielle pourrait avoir sur notre métier, je reste convaincue d’une chose : le champ de la création est infini.