Interview de Vincent Grégoire,
Directeur Consumer Trends & Insights, Nelly Rodi
Vincent, vous revenez du Festival South by Southwest (SXSW) qui se tient chaque année à Austin, pourquoi cet évènement est-il important ?
C’est le rendez-vous des industries créatives, du cinéma, de la musique et des medias interactifs qui permet de capter les nouvelles tendances. Depuis plus de 30 ans au cœur de l’Amérique profonde , managers, créateurs, investisseurs, philosophes … partagent leurs visions sur de multiples sujets : transition climatique, énergie, santé, y compris santé mentale, metavers, alimentation…. Ce Festival est un Baromètre important ! J’y suis allé en « chasseur de tendances ».
Quelles sont donc les tendances que vous avez ramenées dans votre besace ?
Deux principales : l’IA et la créativité.
Présente dans tous les esprits, l’IA était présente dans de nombreuses conférences. Le débat sur les perspectives et les risques liés à l’IA y a clairement été posé. Outil de progrès ou d’asservissement ? Quels risques pour les libertés ? Allons-nous vers une dictature de l’algorithme ?
C’est pourquoi la lettre ouverte appelant à faire « une pause sur les expériences géantes d’intelligence artificielle » et signée notamment par Elon Musk, ne m’a pas étonné. Elle illustre parfaitement les inquiétudes qui étaient perceptibles à travers les discussions au SXSW.
Nombreuses sont les études à confirmer que cette nouvelle technologie va modifier physiologiquement les individus… et donc les consommateurs, les salariés….
En 2019, 40% des enfants américains entre 4 et 10 ans ne comprenaient pas pourquoi une bouilloire ne leur répondait pas lorsqu’ils lui parlaient. La nouvelle génération pixel attirée par tout ce qui est lumineux, perçoit différemment les goûts, les motifs, les matières …
D’ici 2030, 55% des salariés pourraient disposer d’un assistant robot personnel. D’où les questionnements sur la valeur travail… mais aussi sur la propriété intellectuelle, sachant que dans un monde tel que celui d’Austin, tout est open source ! Mais dans ces conditions comment rétribuer la créativité ? Bref potentiellement un grand bazar en perspective !
J’en viens donc au deuxième grand sujet, la créativité. Plus l’IA va aller vite, lire dans nos pensées et plus ce qui va faire la différence, c’est la créativité.
Dans ce monde immergé dans l’IA, il faudra plus que jamais cultiver l’esprit de disruption humaine.
Si le mystère de la créativité demeure entier, il sera le « nerf de la guerre ». Nos sociétés auront besoin de super créatifs.
Quels enseignements en tirez vous pour le monde du luxe ?
La tendance, c’est de l’IA avec de la créativité émotionnelle. Ce qui implique que les professionnels du marketing vont être très challengés par l’algorithme…
Une question est déjà dans tous les esprits: comment mettre du vivant et de l’émotionnelle dans l’IA ? Une petite voix me dit que le créateur pourrait bien retrouver une place qu’il partage avec le marketing depuis de bien longues années maintenant.
En effet, les iconiques de la mode n’ont jamais été « calculés» mais ont toujours été le résultat d’une disruption, d’un pas de côté.
Je ne crois pas que le mystère créatif sera un jour révélé par une combinaison d’algorithme. Pour s’en convaincre, allez à l’exposition « 1997 Fashion big bang » au Palais Galliera !
Est-ce que le climat actuel en France était perceptible dans les réflexions que vous avez entendues ?
Oui d’une certaine manière. Les problèmes du capitalisme, les mouvements « anti riches » -anti-piscine, anti jet - étaient présents … ce que j’appelle « les antis contre les nantis ».
C’est plus globalement le modèle consumériste qui est challengé. D’où le luxe régénératif et l’engagement RSE des maisons de luxe RSE. Si le luxe exemplaire ne date pas d’hier, il est plus que jamais appelé à le devenir… au risque d’être soumis aux mouvements de contestations « Tax the Rich ».
Comme l’avait fort bien expliqué Michel Mafesolli au dernier Sommet du luxe, les valeurs travail et de la méritocratie sont challengées. Cet état d’esprit traverse les frontières et se retrouve sur tous les continents. Nous sommes face à des fractures générationnelles, avec une extremisation des paradoxes.
Les marques de luxe ne peuvent plus ignorer ces éléments.
Et face aux images qui ont circulé sur tous les médias d’une France en révolte, comment la France est-elle perçue?
Pour finir sur une note positive, je dirai que si la France continue à exaspérer, l’admiration pour notre pays est toujours présente. Je résumerai cela par le bagage culturel et créatif qui fait de la France une exception dans le monde.
Mais je vous en dirai plus le 15 juin prochain.