Interview de Sébastien Thibaud : L’innovation, la clé de la croissance engagée du luxe en France

Si les savoir-faire de la main donnent au luxe son supplément d’âme, les technologies et l’innovation lui ouvrent les portes d’une croissance engagée.

Nous remercions Sébastien Thibaud, Professeur à SupMicroTech ENSMM, responsable de l’option Ingénierie MicroMécanique (IMM),
chercheur à l’Institut FEMTO-ST et responsable de la plateforme MIFHySTO 
qui a bien voulu répondre à nos questions.

MIFHysTO est un centre de ressources partagées[1] qui dépend de l’institut de recherche CNRS FEMTO-ST, à Besançon, Ce centre est unique dans le monde par la diversité de ses compétences issus des savoir-faire de l’horlogerie et de la miniaturisation.

Au-delà de son vivier de solutions technologiques, ce laboratoire est particulièrement intéressant par sa collaboration étroite avec les différents acteurs économiques, politiques et administratifs. Un modèle à suivre pour les politiques de réindustrialisation.

Pourriez vous nous rappeler pourquoi la miniaturisation est une technologie d’avenir ?

Nous attendons désormais de tous nos objets qu’ils nous offrent de plus en plus de fonctionnalités. Le « tout en un ». Un exemple : En plus de sa fonction de base, un téléphone doit également être un appareil photo, un mini-ordinateur, une chaine HiFi, un walkman, un agenda …. Au moins six objets en un avec un poids le plus léger possible ! C’est par la miniaturisation des composants, notamment des batteries, que l’on peut répondre à ces attentes.

Autre avantage : en produisant des produits toujours plus légers, les technologies de miniaturisation permettent d’obtenir des produits plus économiques, moins polluants, tout en tentant d’utiliser moins de ressources pour leur fabrication.


Votre laboratoire est situé en Franche – Comté que l’UNESCO a mis à l’honneur en 2020 en inscrivant au patrimoine culturel immatériel de l’Humanité ses savoir-faire en mécanique horlogère et mécanique d’art. Quelles sont les technologies de rupture dans l’industrie horlogère qui pourrait marquer son développement à venir ?

Pour continuer sur le sujet de la miniaturisation, je citerai volontiers en exemple la start- up du CNRS, SilMach créée par Mr Patrice Minotti et des scientifiques de notre laboratoire. Ils ont développé de nouvelles technologies de motorisations miniatures à base de silicium en rupture avec les technologies quartz et mécanique actuelles.

C’est clairement une technologie de rupture puisqu’elle optimise l’espace nécessaire et remplace les moteurs utilisés jusqu’à présent dans les montres à quartz et hybrides, dont les technologies ont été inventées respectivement par Marius Lavet en 1936 et Seiko au milieu des années 80.


Vos travaux de recherche sont menés en étroite collaboration avec des grandes entreprises, des PME/PMI mais aussi avec un acteur dont on méconnait parfois l’action, à savoir l’Agence Economique Régionale (AER). Pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont fonctionnent ces collaborations ?

Notre travail consiste, en partie, à développer des solutions techniques puis à la transférer, notamment à des PME/PMI pour répondre à des commandes de plus grandes entreprises. Et l’Agence Economique Régionale de Bourgogne-Franche-Comté est l’acteur qui nous réunit et qui, à travers le soutien de la Région, et sa connaissance des dossiers, permet la mise en œuvre de ces collaborations.

Prenons le cas d’une entreprise qui a un projet de création haut de gamme, une création inédite par la conception qu’elle nécessite, par exemple en termes de miniaturisation, sans disposer ni des technologies de production, ni de l’appareil productif en interne. C’est à ce stade que l’AER intervient en nous soumettant le projet et en parallèle en identifiant des PME/PMI qui disposeraient de l’appareil productif nécessaire.

De notre côté, nous développons les technologies qui apportent les solutions nécessaires pour réaliser ce projet puis nous transférons les technologies mises au point, pour le compte de l’entreprise donneur d’ordre à la PME/PMI identifiée ou directement la PME/PMI partenaire.

L’exemple du projet µD² ou micro décolletage dur qui est un procédé d’usinage par enlèvement de matière très utilisé en horlogerie est le fruit d’une telle collaboration. Tout a commencé grâce à l’Agence Economique Régionale de la BFC qui, en relation avec le cluster Luxe & Tech, alors présidé par le dirigeant de la société Baron déjà spécialisée dans le décolletage de petite dimension et de haute précision et l’Ecole Nationale Supérieure de Mécanique et des Microtechniques, cherchait à développer ce projet. Avec la collaboration de quatre entreprises, nous avons ensemble développé µD² qui a été porté par l’entreprise Décolletage de la Garenne à Ornans (Doubs).

La finalité consistait à produire de toutes petites pièces, très complexes, dans de nouveaux matériaux très spéciaux, respectant les contraintes environnementales. Ce qui est remarquable c’est que l’on usine une pièce sur un matériau « en état dur» c’est-à-dire après traitement, ce qui permet de supprimer les opérations intermédiaires jusqu’alors nécessaires et de gagner en coûts de production.


Vos recherches ont donc un impact très fort sur le tissu industriel et économique de la Région ?

 Oui et dans différents secteurs du luxe (bijouterie, orfèvrerie, maroquinerie, chaussure …) mais pas seulement. Soit nous permettons de conserver des compétences, soit nous agissons pour faire monter en gamme les entreprises de la Région.

Nous sommes également fortement sollicités sur des projets d’éco-conception dans différents secteurs d’activité. Les entreprises ont pour priorité de concevoir leurs produits de telle manière à ce qu’ils soient recyclables et réutilisables.

Depuis maintenant plus de 15 ans, la plateforme est spécialisée dans l’usinage de matériaux respectant les normes environnementales et sanitaires.

Le chantier est vaste en raison de l’abandon réglementaire de constituants tels le plomb ou le nickel par exemple. Et la liste des matériaux interdits pour des raisons environnementales et sanitaires, tend à s’allonger … notamment dans l’orfèvrerie.

Réaliser certaines pièces avec des matériaux plus respectueux de l’environnement et non toxiques pour la santé humaine appelle de nouvelles technologies pour obtenir les mêmes rendus en termes d’usage avec des matériaux alternatifs que nous développons au sein de notre laboratoire.


Quels sont vos concurrents ?

Nous avons des concurrents sur certaines de nos technologies dans des laboratoires en Suisse à Zurich/Lausanne, au Pays de Galles à Cardiff, en Italie à Milan ou encore au Japon et en Corée du Sud.

Mais nos concurrents ne maîtrisent en général pas l’ensemble de nos compétences issues des savoir-faire historiques de l’industrie horlogère mais aussi des innovations développées pour l’industrie en général notamment en couplant les microtechnologies. En effet, lorsque le secteur de l’horlogerie s’est effondré suite à la crise des années 1970 avec la délocalisation de la production en Asie, de nouvelles entreprises se sont développées sur la base de ces savoir-faire horlogers. Et tel un balancier, nous assistons aujourd’hui à un phénomène inverse : les technologies développées dans l’aéronautique, les transports, la connectique ou la santé sont transférées vers des activités liées au luxe. C’est ce qui rend notre laboratoire unique.

Et je dois souligner que le soutien financier de la Région a été décisif dans notre développement. Sans ce soutien, nous n’aurions pas pu acquérir le matériel nécessaire pour investir dans des technologies de pointe et être à la pointe de l’innovation dans certains domaines tels que la miniaturisation.

Les collaborations Région – Laboratoire de recherche – Entreprise exemplaires entre les différents acteurs de la Région participent pleinement à la réindustrialisation de nos régions.

[1] Plateforme mutualisant les ressources technologiques et humaines pour le développement d’activités scientifiques pour la recherche, la formation et la valorisation. Elle dispose de moyens de très haut niveau uniques sur le territoire.

2023-10-10T16:56:38+02:00

Titre

Aller en haut