Un monde en dérèglement : géopolitique, puissance et résilience du luxe2025-09-30T14:47:14+02:00

Synthèse

Peer de Jong 

Co-fondateur de l’Institut Themiis, 

Professeur associé à l’Ecole de Guerre Economique à Paris.

 Introduction

Un monde en dérèglement 

Peer de Jong souligne que le monde actuel n'est pas simplement instable, mais véritablement en dérèglement. Il date le début de cette dynamique à la chute du mur de Berlin en 1991, marquant la fin de la bipolarité USA/URSS. Ce basculement a d'abord créé un monde unipolaire dominé par les États-Unis. Mais cette domination est remise en cause dès les années 2000 avec l'émergence de Vladimir Poutine. 

Poutine, forgé dans la frustration de l'effondrement soviétique, a pour obsession de rendre à la Russie sa grandeur perdue. Cela passe par une politique de puissance et de confrontation avec l'Occident. Les conflits en Tchétchénie, Géorgie, Crimée (2014), puis en Ukraine (2022) sont les expressions concrètes de cette ambition. 

La désagrégation du système international

Le système de sécurité fondé après 1945, avec les Nations Unies comme arbitre, est aujourd'hui paralysé. Deux membres du Conseil de sécurité (la Russie et la Chine) bloquent systématiquement toute résolution par droit de veto. La Russie n'agit plus en régulateur, mais en perturbateur. L'alliance entre Moscou et Pékin marque un tournant historique: c'est la constitution d'un nouveau pôle structurant face à l'Occident. 

Cette reconfiguration donne naissance à un «Sud global», regroupant de nombreuses nations d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, qui rejettent les valeurs occidentales : écologie normative, droits de l'homme, droits LGBT. Ces pays voient en l'Occident un bloc colonialiste et dominateur, incarné par le «milliard doré» d'individus vivant dans le confort, en opposition aux six milliards restants. 

Le recul de l'Occident 

L'Europe, notamment, semble marginalisée. Dépendante des États-Unis, elle souffre d'une désunion stratégique chronique. L'entrée de la Suède et de la Finlande dans l'OTAN inquiète la Russie, qui se sent encerclée et provoquée, notamment en mer Baltique. 

L'hypothèse d'une extension du conflit aux pays baltes n'est plus exclue. Peer de Jong s'interroge : l'Europe serait-elle prête à faire la guerre pour défendre ces pays? L'incertitude est grande, et la menace réelle. 

Aux États-Unis, l'élection potentielle de Donald Trump, partisan d'un isolationnisme stratégique et admirateur de Poutine, accentuerait encore le désengagement américain vis-à-vis de l'Europe. 

Vers un monde tripolaire 

Nous évoluons vers un monde tripolaire structuré par : 

  • Un pôle américain, replié sur l'Amérique et ses intérêts directs (doctrine Monroe). 
  • Un pôle asiatique, dominé par la Chine, avec des ambitions maritimes fortes. 
  • Un pôle russo-centré, influent sur l'Eurasie, qui attire à lui des pays du Sud global.

Dans ce contexte, l'Europe semble ballottée entre ces forces. L'OTAN peine à apparaître comme un rempart crédible et l'Union européenne, divisée, peine à se positionner comme un acteur stratégique autonome. 

Un nouveau type de guerre 

es conflits contemporains évoluent aussi dans leur forme. Si les guerres «conventionnelles» (comme en Ukraine) montrent leur brutalité (plus d'un million de morts ou blessés), les guerres «molles» se multiplient : guerre de l'information, cyberconflits, batailles pour les ressources en haute mer, etc. 

Dans ce cadre, l'intelligence économique devient une arme stratégique : savoir avant l'autre, agir au bon moment, frapper sans prévenir. Peer de Jong rappelle trois principes hérités du maréchal Foch : 

  • Concentration des forces, 
  • Économie des moyens, 
  • Liberté d'action. 

Ces principes sont applicables aussi bien aux affaires qu'à la géopolitique. Ils permettent d'établir un rapport de force favorable, essentiel à toute stratégie. 

Intelligence, influence, sécurité 

Dans ce monde complexe, les entreprises doivent : 

  • Comprendre leur environnement à travers la veille stratégique, 
  • Choisir leurs zones d'action avec discernement, 
  • Déployer des stratégies d'influence efficaces, 
  • Assurer la sécurité de leurs collaborateurs, notamment dans les zones à risque. 

L'influence réelle se joue au sommet, auprès des décideurs, et non dans les conversations informelles. L'entrepreneur du luxe doit désormais évoluer dans une jungle géopolitique, où chaque mouvement peut avoir des conséquences. 

Le luxe, une constante dans la tourmente 

Malgré ce contexte tendu, Peer de Jong conclut sur une note d'espoir. Le luxe — ou plutôt la qualité, la délicatesse, l'exception — reste une valeur universelle. Partout dans le monde, même les plus brutaux recherchent le raffinement. Poutine lui-même, rappelle-t-il, a le goût des draps raffinés et des montres de prestige. 

Le luxe, en ce sens, agit comme une «soupape», une nécessité culturelle et émotionnelle dans un monde dur. Il peut rester une passerelle, une forme d'universalité esthétique, et une force de résilience. 

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