
Interview de Marine Billet, Artiste Bijoutière INCARNEM
Après avoir reçu le Prix des Artisanes et le second prix « Best in Creativity » à la Jewelry Week de Milan en 2023, vous venez de recevoir le Talent de l’Originalité pour vos collections de “bijoux incarnés”, pensés comme des prolongements du corps. Comment décrivez-vous votre univers de création ?
Ce que j’aime, c’est transformer le banal en merveilleux, surprendre et réenchanter le quotidien. A travers mes collections, « Morceaux choisis de Paris », « Couleurs charnelles », « Seconde peau » « Nature sublimée », je cherche à sublimer des objets ou des éléments qui paraissent insignifiants.
Ma formation initiale en architecture m’a dotée d’une approche particulière du processus créatif, mêlant structure et volume. Elle influence chaque étape de mon travail, du concept initial au bijou fini.
Ma technique de prédilection est celle du moulage et de la fonte à la cire perdue, une méthode ancestrale dans le monde de la bijouterie et de la sculpture. Ce procédé me permet de capturer, avec une finesse inégalée, l’empreinte exacte d’un objet ou d’une matière, pour ensuite la transposer dans le métal. Il en résulte des pièces uniques, intemporelles, qui se portent comme une seconde peau.
Fragments d’architecture parisienne — fontaines Wallace, rivets, lampadaires — mais aussi fragments de peau ou d’orchidées… mon univers est une constellation d’éléments éclectiques que je réassemble et transforme, pour mieux en révéler la beauté singulière.
Vous exercez un métier pluriel, artisane-maquettiste-prototypiste-bijoutière-artiste…. Quel regard portez-vous sur votre métier ?
Je dirais même plus : comme beaucoup de créateurs qui ont fondé leur propre atelier, je suis une entrepreneure couteau suisse.
Dans une seule et même journée, je passe du dessin à l’ordinateur puis à l’établi — où je façonne un bijou — à la préparation de colis, à la gestion des relations clients sur Instagram… Les casquettes s’enchaînent, les rôles se superposent.
Certaines tâches, bien que moins visibles, sont particulièrement chronophages. Mais c’est aussi ce que j’aime : cette diversité qui pousse à élargir sans cesse ses compétences au-delà du design pur et de la création.
Les journées filent à toute vitesse, sans jamais laisser place à l’ennui. Mais dans cette dynamique intense, il est essentiel de ne pas s’isoler. Trouver des relais, des temps d’échange, des espaces d’émulation devient fondamental pour ne pas se laisser enfermer dans sa bulle.
Les salons professionnels, ou des distinctions comme les Talents du Luxe et de la Création, offrent justement ces respirations précieuses. Ils permettent la rencontre, la reconnaissance, et redonnent du souffle au chemin parfois solitaire de l’entrepreneure-créatrice.
Trouver ses premiers clients et bâtir un réseau solide n’est jamais simple lorsqu’on débute en tant que créateur indépendant. Quelles démarches entreprenez-vous pour faire connaître votre travail et développer votre clientèle ?
J’ai la chance d’avoir su attirer une clientèle étrangère dès mes débuts, notamment en provenance des États-Unis ou d’Arabie Saoudite, grâce à la visibilité offerte par les réseaux sociaux. Beaucoup de mes clients me découvrent via Instagram et me contactent directement par ce biais. C’est un outil précieux qui me permet de créer un lien immédiat et personnel avec ceux qui s’intéressent à mon univers.
Cela dit, trouver un juste milieu entre croissance, cohérence artistique et viabilité économique reste un enjeu constant. Je ne suis pas la seule à me poser cette question essentielle : celle du point d’équilibre qui permet de développer l’activité tout en restant fidèle à sa démarche créative ?
La Cérémonie des Talents a été précédée par un Sommet dédié à la transmission du luxe ? Qu’est-ce que la transmission évoque pour vous ?
Pour moi, la transmission dans le domaine du luxe renvoie avant tout à la nécessité de faire connaître des métiers souvent méconnus du grand public, comme celui de maquettiste bijou ou de parurière. Ce sont des savoir-faire de niche qui méritent d’être valorisés.
J’ai moi-même découvert presque par hasard au cours de ma formation à l’Afedap que la fabrication de bijoux pour la mode portait un nom bien précis : celui de parurier. C’est grâce à un stage à l’Atelier Philippe Grand, qui fabrique des accessoires pour de grandes maisons de couture comme Louis Vuitton, Givenchy ou Jean-Paul Gaultier que j’ai réalisé à quel point ce métier était passionnant.
Derrière le glamour apparent, ces métiers sont exigeants. À l’approche d’un défilé, il m’arrive de travailler sept jours sur sept, parfois de nuit, pour que tout soit prêt à temps.
C’est justement pour cela que je m’efforce, à mon échelle, de transmettre. Je prends le temps d’échanger avec les jeunes, car je suis convaincue que sans visibilité, ces métiers précieux pourraient disparaître.