Sandrine Tessier, vous êtes créatrice en haute-joaillerie, émailleuse, pouvez-vous nous présenter votre métier ?
L’émaillage est aujourd’hui un métier de niche contrairement à la fin du XIXème, début du XXème siècle, avec notamment René Lalique qui a magnifié l’émail sur les bijoux à l’époque Art Nouveau pour n’en citer qu’un. L’émaillage est un ensemble de techniques (cloisonné, champlevé, plique à jour …) qui consiste à faire chauffer des éclats de verre à très haute température afin d’obtenir des décorations colorées.
Les première traces d’émaillage en France apparaissent au VIIè siècle autour de Limoges puis au moyen-âge entre Limoges et Conques-en-Rouergue pour l’agrémentation de pièces religieuses tels que les ciboires, chasses et autres reliques. Mais les balbutiements de « l’émaillage » à base de pâte de verre sont d’abord apparus en Égypte.
Quel regard portez-vous sur la transmission des savoir-faire en émaillage ?
La formation pour devenir émailleur et maîtriser l’ensemble des techniques d’émaillage est longue et compliquée. J’ai commencé à « aider » à l’âge d’une dizaine d’année dans l’Atelier familial et je continue à apprendre et perfectionner cet Art, alors que j’ai 48 ans. La transmission de ce savoir-faire se fait non seulement en Atelier, mais aussi à travers les commandes des clients qui nous conduisent à perfectionner sans cesse nos techniques ou en créer de nouvelles.
Ce sont aussi les clients qui nous permettent de prendre des jeunes en formation. Aujourd’hui, j’ai la capacité de former une personne grâce aux commandes que nous avons. Mais le volume de commande est souvent cyclique, ce qui rend la transmission compliquée. Certains sont contraints d’avoir un second métier pour pouvoir attendre de nouvelles commandes d’émaillage.
Est-ce un métier qui risque de disparaître, faute de transmission ?
Les maisons de luxe ont bien souvent externalisé certains métiers, comme l’émaillage dont le SAV demeure compliqué. Je ne pense pas que c’est un métier qui disparaitra mais les savoir-faire extrêmement pointus seront concentrés entre très peu de mains. La rareté n’est-il pas d’ailleurs le propre du luxe ?
Si les débouchés sont relativement faibles, vous observez un regain d’intérêt pour les émaux. A quoi attribuez-vous ce renouveau ?
De grandes maisons ont, depuis quelques années, revisité des pièces iconiques datant de l’époque emblématique de l’Art nouveau tel que Lalique ou Vever. Ou pour d’autres des années phares d’époques ou l’on voulait des couleurs vibrantes tel que Tiffany, ou encore et toujours dans les cadrans de montres en haute-horlogerie. Le fait de voir de nouveau de l’émail a créé une dynamique, un effet de mode probablement.
Souhaiteriez-vous ajouter un mot ?
Vivre de sa passion, avoir la capacité économique de créer est une véritable chance.
C’est une chance pour nous autres artisans, mais aussi pour notre pays car la création participe du rayonnement de notre culture et de l’image de nos territoires à l’international. C’est la raison pour laquelle la mise en valeur des artisans est essentielle dans les années à venir.
Et si la transmission des savoir-faire passe par la formation d’une nouvelle génération, elle sera également le résultat de la politique des fonds d’investissement qui investissent dans certaines sociétés de renom, en ayant parfois recours à l’externalisation de certains savoir-faire. Pour autant si conserver un savoir-faire au sein d’un Atelier a un prix, il créé aussi de la valeur. Il suffit de voir briller les yeux de nos clients pour le vérifier. Et contribue aussi à sauvegarder nos métiers de niche pour les générations à venir.